Les tambours de l'Empereur.png
 

Le cheval de Napoléon s’arrêta à quelques pieds de moi, si bien que je sentis le souffle tiède de ses naseaux sur ma peau frigorifiée. Jamais encore je n’avais vu l’Empereur de si près. Le froid semblait l’avoir figé dans les flancs de sa monture ; l’imper­méable rigide passé par-dessus son uniforme l’engonçait comme une camisole. Seuls ses yeux bougeaient au milieu de son visage cireux, sous la lisière de son bicorne noir.

Grandgousier s’inclina profondément.

– Voici l’orchestre du 111e régiment d’infanterie, sire, dit-il. Ou, tout au moins, ce qu’il en reste.

L’Empereur hocha la tête, prouvant qu’il n’était pas totale­ment paralysé. Je sentis un frisson plus insidieux que le vent du nord me traverser au moment où ses yeux se posèrent sur moi. En dépit des lourds cernes qui le lestaient, ce regard-là demeu­rait aussi perçant que celui d’un oiseau de proie.

– Le tambour a toujours été mon instrument préféré, dit-il. Sais-tu pourquoi ?

– Non, sire, m’entendis-je répondre d’une voix atone. Je ne le sais point.

Je ne pouvais m’empêcher de songer aux tambours du régi­ment anonyme. N’étaient-ce pas ceux-là, les véritables favoris de l’Empereur, ces instruments maudits dont lui seul peut-être connaissait l’origine ?

– C’est mon instrument préféré parce qu’il imite le bruit du canon. Au milieu des batailles, il ne détonne jamais.

 

ANIMALE

Prélude - Tambours dans la nuit